Actualité novembre 2024
Fin novembre 2024, la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (FNAB) dénonce les contaminations récurrentes de parcelles agricoles biologiques par un herbicide très volatil : le prosulfocarbe. Ce produit, qui est la deuxième substance active herbicide la plus vendue en France, a vocation à n’être utilisé que sur les parcelles cultivées en conventionnel (non-biologiques). Mais il se retrouve pourtant régulièrement dans des parcelles bio, dont les taux de présence dans les récoltes dépassent les seuils autorisés pour être qualifié de « biologique ». Certains agriculteurs bios perdent alors tout ou partie de leurs récoltes, et se retrouvent à devoir payer à leurs frais des analyses toxicologiques pour prouver que leurs récoltes ne sont pas contaminées. Des mobilisations d’agriculteurs bios organisées par la FNAB ont eu lieu à Auxerre le 28 novembre 2024.
Repérer les parcelles à risque
Suite à cette actualité, nous avons eu l’idée de réaliser une carte de repérage des parcelles biologiques situées à proximité de fortes utilisations de prosulfocarbe, qui seraient donc susceptibles d’être contaminées.
Nous avons fait le choix de nous concentrer sur le département de la Seine-Maritime, car un des agriculteurs bio mentionné dans les médias vient de Normandie. Pour que la carte soit lisible nous avons encore agrandi l’échelle pour étudier un seul département et non pas toute la Normandie, mais cette analyse aurait pu être faite partout en France.
Les données utilisées
Pour réaliser une carte de repérage des parcelles à risque, nous avons utilisé :
- Les données de la BNV-D (Banque Nationale des Ventes réalisées par les Distributeurs de produits phytosanitaires) datant de 2021 et renseignant sur les achats par code postal de produits phytosanitaires ainsi que leur quantité en kg. Nous avons ensuite sélectionné uniquement le prosulfocarbe (n°CAS du prosulfocarbe = 52888-80-9) puis uniquement les communes de Seine-Maritime.
- Les données de l’Agence Bio datant de 2021 également, et renseignant sur la géométrie des parcelles déclarées biologiques à la PAC. Nous avons ensuite uniquement conservé les parcelles se trouvant en Seine-Maritime.
Cela a pu mener à une première carte introductive, dans laquelle nous avons simplement afficher les parcelles biologiques accompagnées des quantités de prosulfocarbe que nous avons divisées par la surface de la commune afin de pouvoir représenter cette information en aplat de couleur.
Repérage des parcelles
Comme le rappelle l’ANSES, le prosulfocarbe est une substance très volatile. Autrement dit, sa dispersion dans l’air pendant et après son application est élevée. Cela signifie donc que les cultures non-cibles, du fait de leur proximité avec les cultures cibles, peuvent être touchées. Puisque la spatialité joue grandement dans la contamination des cultures non-cibles, il peut donc être pertinent d’utiliser des outils simples d’analyse spatiale pour les repérer.
Des règlementations existent concernant l’application du produit : depuis 2018, il faut attendre la récolte de cultures non-cibles dans un rayon de 1 km avant d’appliquer l’herbicide. On peut en déduire que selon cette règlementation, il serait possible qu’une culture non-cible soit contaminée si elle se trouve à moins d’1 km d’une zone d’utilisation.
Nous avons donc conservé cette distance de 1 km pour réaliser une zone tampon autour des parcelles. Nous avons donc pu localiser toutes les parcelles situées à moins d’1 km de communes ayant une quantité de prosulfocarbe supérieure à 133 kg/km2. Ce dernier seuil choisi ne provient pas d’un chiffre présent dans la littérature scientifique ni des rapports de l’ANSES car nous n’avons rien trouvé à ce sujet. Nous avons donc décidé de choisir le seuil de 133 kg/km2 car il résultait d’une discrétisation par seuil naturel effectuée sur la quantité de prosulfocarbe par km2 en Seine-Maritime.
Nous avons pu obtenir les cartes finales suivantes :
Résultats
En chiffre, nous obtenons :
- Au total : 3520 parcelles cultivées en agriculture biologique, soit 112 km2 de parcelles biologiques en Seine-Maritime en 2021.
- Sur toutes ces parcelles bios, 269 parcelles sont situées à moins d’1 km de communes ayant une quantité de prosulfocarbe supérieure à 133 kg/km2. Cela représente environ 10 km2 de parcelles bios potentiellement à risque d’être contaminées, soit 8,93 % de la surface totale bio.
Ces chiffres montrent que ce phénomène est loin d'être généralisé et semble concerner une petite fraction des parcelles biologiques. Cependant, cette proportion, bien que minoritaire, reste significative et mérite une attention particulière quand on garde à l’esprit que des agriculteurs peuvent perdre leurs récoltes.
Limites des cartes et de l’analyse
Sur la localisation du prosulfocarbe utilisé
Nous avons fait le choix de représenter la quantité de prosulfocarbe en kg / km2 par commune. Mais il aurait été plus pertinent d’utiliser des localisations précises d’utilisation, car il est certain que cet herbicide n’est pas appliqué uniformément sur la commune. De plus, dans le jeu de données de la BNVD, il est seulement indiqué le code postal de la commune qui achète le prosulfocarbe. Nous avons fait l’hypothèse que la commune d’achat était également la commune d’utilisation du produit. Cela n’est pourtant pas certain, même si il y a de forte chance que ce soit le cas la plupart du temps.
Sur les types de cultures et le fonctionnement des récoltes
Nous avons fait une analyse assez simple pour trouver les parcelles biologiques situées à moins de 1 km de communes à forte utilisation présumée de prosulfocarbe, et donc étant plus susceptibles que d’autres parcelles d’être contaminées.
Mais cette analyse reste uniquement spatiale et ne prend pas en compte les pratiques d’application des herbicides, ni les différences entre types de cultures. Dans le communiqué de presse publié récemment par la FNAB, des informations métiers renseignent sur les situations types qui semblent favoriser les contaminations de cultures non-cibles. Par exemple, les cultures de sarrasins bios semblent être plus touchées par ce problème que d’autres types de cultures bios, du fait de leurs périodes de récolte, qui coïncident avec les périodes d’application de prosulfocarbe. Ainsi, il pourrait être intéressant de refaire notre carte en ne sélectionnant que les cultures dont les particularités (période de récolte, seuil de présence de produit plus bas, etc.) semblent favoriser la contamination par l’herbicide.