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Gouverner par la non-connaissance, la fin de la « Billion-Dollar Weather and Climate Disasters»
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Cormier
11 juin 2025

En mai 2025, la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) a annoncé qu’elle mettait fin à la mise à jour de sa base de données recensant les catastrophes naturelles ayant causé plus d’un milliard de dollars de dégâts. Sur son site internet, l’agence évoque un simple « changement de priorité ». Pourtant, cette décision intervient dans un contexte de désengagement plus large vis-à-vis des enjeux climatiques, alors que l’administration Trump prévoit de réduire le budget de la NOAA de 30 %, soit plus de 1,6 milliard de dollars.

Dans un contexte où les événements climatiques extrêmes sont de plus en plus fréquents, coûteux et politiquement sensibles, et si ne plus compter les catastrophes climatiques était une façon d'espérer ne plus avoir à y répondre ?

1.La base « Billion-Dollar Weather and Climate Disasters»

1980 2024 billion dollar disaster time series

Créée en 1980, la base de données de la NOAA documentait de manière systématique les événements climatiques majeurs ayant généré au moins un milliard de dollars de dégâts. Elle couvrait des phénomènes tels que les ouragans, tornades, inondations, tempêtes hivernales ou feux de forêt. Alors qu’on recensait en moyenne 3 événements par an dans les années 1980-1985, ce chiffre est passé à plus de 22 par an sur la période 2020-2024.

Cette croissance reflète à la fois l’intensification des phénomènes climatiques extrêmes et une exposition accrue des populations, notamment due à l’urbanisation croissante dans des zones vulnérables comme les littoraux. Cette base constituait un outil central pour rendre compte des conséquences économiques du changement climatique, en objectivant les dégâts à l’échelle nationale.

2. La NOAA continue d’observer… mais ne compte plus

La NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) est une agence fédérale américaine. Elle a pour mission principale l'étude et la surveillance des conditions de l’atmosphère, des océans, du climat et des côtes. Elle est composée de plusieurs entités majeures :

  • Le National Weather Service (NWS), qui fournit des prévisions météo et des alertes.
  • Le National Hurricane Center, spécialisé dans la surveillance des ouragans.
  • Le National Environmental Satellite, Data, and Information Service (NESDIS), qui gère les satellites d'observation de la Terre.
  • Le National Centers for Environmental Information (NCEI), qui centralise les bases de données climatiques.

La NOAA continue d’alimenter plusieurs bases de données, comme la Storm Events Database ou HURDAT sur les ouragans, accessibles via le NCEI. Cependant, le travail d’estimation des coûts, lui, est abandonné. Les événements sont encore détectés, enregistrés, classés… mais leur impact économique ne sera plus chiffré dans une base unifiée.

Ainsi, les catastrophes climatiques restent identifiées dans leur base de données respectives, un ouragan de forte intensité sera présent dans la base HURDAT. Le travail d’estimation des coûts n’y est en revanche plus fait.

3. Ne pas mesurer, c’est aussi gouverner : un acte politique

Ce retrait semble donc s’inscrire dans une dynamique plus profonde. Selon Jérémy Bouquin (2017), la quantification environnementale est un acte politique : mesurer, c’est faire exister un phénomène dans l’espace public, en faire un objet de débat, voire de contestation. À l’inverse, choisir de ne pas mesurer, c’est invisibiliser et donc désarmer les mobilisations sociales ou les exigences de réponse publique. En choisissant de ne plus mesurer, l’État tente de se désengager de sa responsabilité.

Ce type de stratégie politique trouve un écho dans les travaux de Barbara Allen (2003), qui montre comment, dans le Chemical Corridor de Louisiane (un espace très industrialisé), les institutions ont marginalisé les actions citoyennes en les jugeant non scientifiques et invoquant l'absence de preuves chiffrées, qu’elles avaient elles mêmes refusé de produire. Les citoyens se sont alors retrouvés exclus du processus de décision environnementale.

Dans un contexte où les dégâts climatiques atteignent des niveaux historiques, la suppression d’une base de données publique est tout sauf anecdotique. Il s’agit d’un refus de documentation qui empêche la société d’identifier ses propres vulnérabilités. Par ce geste, l’Etat n’est plus garant d’une certaine objectivité et devient un acteur du brouillage de l’information.

Conclusion

La fin de la base des catastrophes à 1 milliard de dollars n’est pas qu’un fait technique. Elle révèle une stratégie politique de retrait de l’État face à la crise climatique. En cessant de compter, on cesse de voir, d’alerter, d’agir. Cette invisibilisation volontaire des coûts climatiques interroge la capacité des institutions à produire un savoir critique.

sources :

Allen, Barbara L. Uneasy Alchemy: Citizens and Experts in Louisiana’s Chemical Corridor. MIT Press, 2003.

Bouquin, Jérémy. « La quantification environnementale en procès », Revue française de socio-économie, vol. 19, no 2, 2017, pp. 125–144. https://doi.org/10.3917/rfse.019.0125

NOAA National Centers for Environmental Information.
Billion-Dollar Weather and Climate Disasters: Events.
https://www.ncei.noaa.gov/access/billions/

NOAA Storm Events Database.
https://www.ncdc.noaa.gov/stormevents/

NOAA Atlantic Hurricane Database (HURDAT2).
https://www.aoml.noaa.gov/hrd/hurdat/

 

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